Adoption internationale : L'UNICEF brosse un portrait inquiétant
Louise Leduc, La Presse
14 mai 2001

Selon l'UNICEF, environ 70 % des enfants placés dans les différents orphelinats du monde ne sont pas réellement orphelins mais sont souvent victimes de tractations commerciales. À l'heure où de nombreux réseaux de trafics d'enfants sont mis au jour, l'UNICEF émet de sérieuses réserves face à l'adoption internationale et rappelle que l'enfant n'est pas un bien à soumettre à la loi de l'offre et de la demande.

“Très souvent, on constate qu'il y a commercialisation du processus, que l'état se déresponsabilise et que les enfants sont traités comme des marchandises”, résume en entrevue téléphonique depuis New York Jean-Claude Legrand, conseiller principal de l'UNICEF et responsable du dossier de la protection des enfants dans les conflits armés.

Ce sombre portrait qu'il nous brosse tombe une semaine après que La Presse eut révélé qu'une vingtaine de couples québécois attendaient ou avaient reçu des bébés adoptés en Inde, là même où des enquêtes policières montrent aujourd'hui toute la corruption de nombre d'orphelinats et d'intermédiaires.

Là comme dans tant d'autres pays pauvres, aucune organisation internationale ou indépendante ne peut réellement s'assurer que les milliers de dollars que suppose chaque adoption soient justement utilisés.

Dans des documents officiels sur l'adoption internationale, l'UNICEF explique que les couples qui cherchent à adopter à l'étranger “finissent trop souvent par faire confiance à un intermédiaire qui exploite leur désir désespéré d'avoir un enfant”. Ces intermédiaires, poursuit l'UNICEF, “kidnappent des enfants et en font le trafic, font pression sur les mères, souvent adolescentes et seules, pour qu'elles abandonnent leur enfant. Certaines se font même dire que leur enfant est mort-né. De hauts responsables sont soudoyés et les autorités (des pays) sont priés de mettre en disponibilité pour adoption internationale le plus grand nombre d'enfants possible pour satisfaire à la demande”.

L'UNICEF s'inquiète particulièrement du Guatemala. “Environ 99 % des adoptions internationales conduites à partir de ce pays se font à l'extérieur de tout cadre légal, écrit l'UNICEF. Faute de transparence, il est impossible de déterminer l'origine de l'enfant, les raisons pour lesquelles il a été confié en adoption, si un avocat a été ou non impliqué dans le trafic d'enfants et si des frais légaux dissimulent d'abusifs gains financiers.”

Outre le Guatemala et l'Inde, la Colombie est aussi actuellement éclaboussée par des scandales de trafic d'enfants, comme l'a été le Vietnam en 1999. À l'intérieur même de la Chine, “on sait aussi que des Chinois qui n'ont pas de garçons en achètent de leurs compatriotes par l'entremise de réseaux clandestins”, explique encore M. Legrand.

Selon des données de l'UNICEF, entre 25000 et 30000 enfants sont adoptés chaque année à l'extérieur de leurs pays, surtout dans des états industrialisés. Le Canada compte parmi les pays qui adoptent le plus d'enfants à l'étranger, avec les États-Unis (qui arrive au premier rang), la France, l'Italie, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse. Pour limiter les dégâts, l'UNICEF milite notamment pour que chaque pays qui permet l'adoption internationale signe la Convention de La Haye sur la protection des enfants.

Quand un conflit armé ou une catastrophe naturelle survient, rappelle l'UNICEF, les autorités du pays devraient notamment multiplier les démarches pour retrouver les parents et s'assurer qu'ils sont bel et bien morts avant de confier l'enfant en adoption.

Or, cette vérification est loin d'être toujours faite. “Pour les états, il est souvent très délicat de renforcer ce principe sans attaquer les groupes religieux ou les grandes stars qui financent plusieurs de ces orphelinats, note M. Legrand. L'UNICEF était mieux placée pour agir, par exemple, dans le cas de l'orphelinat libérien financé par Pavarotti, où l'on prenait justement trop vite pour acquis que les enfants reçus étaient orphelins.”

Au Rwanda, après le génocide de 1995, la recherche des parents ne s'est pas faite non plus et ce manquement a été lourd de conséquences. “L'église catholique n'a pas poussé sa recherche et des enfants ont été à tort déclarés orphelins et adoptés en Italie. Le gouvernement du Rwanda a d'ailleurs déposé une plainte auprès du gouvernement italien à ce sujet.”

Quand l'enfant est réellement sans famille, il faut d'abord tenter de lui en trouver une à l'intérieur même de son pays et se garder de penser qu'il sera d'office toujours mieux dans les pays riches. L'UNICEF croit d'ailleurs que de déraciner des enfants de leur pays d'origine n'est pas toujours dans leur meilleur intérêt - particulièrement quand des membres de la famille ou de la communauté sont capables de les prendre en charge. “Dans les pays d'Afrique australe, des centaines d'orphelins du sida sont pris en charge par leur communauté”, note M. Legrand.

Alors, quoi? L'adoption internationale est-elle à proscrire? “Quand toutes les autres avenues ont été étudiées, l'UNICEF ne s'y oppose pas, précise M. Legrand, mais elle est contre toutes les dérives qui commercialisent le processus. D'ailleurs, pourquoi des gens aux moyens modestes ne pourraient pas adopter, eux aussi?”

En matière d'adoption internationale, en fait, il serait nettement préférable, selon M. Legrand, qu'aucune somme d'argent ne soit échangée. C'est que l'argent que les parents adoptifs croient diriger à l'amélioration des orphelinats dans le pays d'origine de leur enfant a de très pervers effets. D'une part, cet argent sert souvent à engraisser des gens qui ouvrent des orphelinats comme d'autres ouvriraient un restaurant, pour brasser de bonnes affaires, quoi. D'autre part, même quand l'argent est dirigé au bon endroit, cet échange a pour conséquence “de créer de micro-ghettos d'enfants” et un univers ouaté recherché par des parents “qui seront tentés de faire de leurs petits de pseudo-orphelins en croyant agir pour leur bien”, se désole M. Legrand.

[ARTICLES]