Prêtes à tout pour briser la loi du silence
Diane Tremblay, Le Journal de Québec
3 juin 2001

Les médecins posent souvent des questions sur les antécédents familiaux lors de bilans de santé : diabète, hypertension, maladies cardiaques, etc.? Les gens répondent généralement par oui ou par non, mais pas Sylvie Roberge et Sylvie Drolet. Les deux femmes de la région de Québec, qui ont été adoptées à leur naissance, ignorent tout de leur histoire génétique. Rassemblant leur courage, elles ont décidé de sortir de l'ombre pour revendiquer le droit d'obtenir l'identité de leurs parents biologiques.

La grand-mère biologique de Sylvie Roberge est morte d'un cancer à 29 ans. Sa mère biologique a succombé à un cancer métastatique des ovaires à 59 ans. En dépit de ce lourd passé médical, Mme Roberge est incapable de se faire admettre au CHUL dans le programme de dépistage précoce du cancer, car elle n'est pas en mesure de prouver ses antécédents familiaux. Résultat : elle vit dans l'angoisse. Elle a dû se faire enlever l'utérus et un ovaire à cause de problèmes de santé.

Légalement, Mme Roberge pourrait consulter le dossier médical de sa mère, à condition de connaître son nom, ce que ne lui permettent pas les lois en vigueur actuellement au Québec. D'autres provinces comme la Colombie-Britannique autorisent la divulgation des renseignements nominatifs en autant que les parents biologiques ne s'y opposent pas.

Quand on achète un animal, la première chose qu'on demande, c'est le pedigree. Pourquoi cela ne serait pas pareil pour les humains? C'est de la torture, de la discrimination. On trouve ça vraiment injuste, déplorent-elles.

Les deux femmes sont loin d'être les seules dans cette situation, car 200 000 personnes ont été adoptées au Québec entre 1930 et 1980. L'époque où les lois ont été pensées, l'adoption était encore un sujet tabou. Depuis ce temps, les mentalités ont évolué, mais les règles n'ont pas changé.

Casse-tête incomplet

La connaissance de leur origines revèt une importance capitale pour Mme Roberge et Drolet tant sur le plan médical que sur le plan psychologique. Même si elle sait que sa mère biologique est morte, il y a presque trente ans, Mme Drolet aimerait avoir des contacts avec l'entourage de celle qui l'a vue naître.

C'est important pour moi de savoir que je ressemble à quelqu'un. ça comblerait un grand vide autour de moi. Ça me fait souffrir de savoir que cette phase-là de mon existence est inconnue.

Les deux femmes pensent aussi au sort de leurs propres enfants à qui ils manquent une bonne partie de leur bagage génétique.

Déterminée à aller jusqu'au bout, Mme Roberge a épluché tous les avis de décès d'une année complète pour retrouver les traces de sa mère. Un travail colossal! partir du nombre de frères et soeurs, elle a procédé par élimination pour arriver à une liste d'une vingtaine de noms. Elle a appelé les proches de toutes les défuntes.

C'est très délicat. La personne est morte. On raconte toute notre histoire. On voit bien qu'on dérange. Imaginez le doute qu'on sème dans l'esprit de ces gens-là.

Sylvie Roberge et Sylvie Drolet revendiquent le droit de connaître l'identité de leurs parents biologiques.

Une lueur d'espoir à l'horizon

(DT) - Un comité interministèriel, présidé par Vital Simard, s'était montré en faveur de la divulgation de l'identité des parents biologiques, en 1999.

Le Mouvement Retrouvailles, qui offre du soutien aux personnes à la recherche de leurs parents biologiques, avait participé aux travaux de ce comité qui recommandait l'ouverture des dossiers. Le modèle proposé s'inspirait de la loi adoptée en Colombie-Britannique, en 1996.

Le rapport Simard n'a pas dormi sur les tablettes, car le gouvernement du Québec se prépare à déposer un avant-projet de loi à la session d'automne à ce sujet.

C'est très avancé. Il reste à déterminer certaines modalités sur les consultations publiques qui suivront le départ de l'avant-projet de loi. Il y a des enjeux majeurs et on aimerait consulter le plus de gens possible. On sait que c'est très attendu sur le terrain, a déclaré Isabelle Gilbert, attachée de presse de la ministre déléguée à la Santé et au Services sociaux, Agnès Maltais.

Pour l'instant, rien n'a transpiré sur le contenu de cet avant-projet de loi, mais la directrice du Mouvement Retrouvailles dans la région de Québec, Caroline Fortin, souhaite qu'il respectera les recommandations du comité interministériel.

Dans le cas où le gouvernement favorise l'ouverture des dossiers, une immense campagne publicitaire pourrait être enclenchée au Québec, au Canada et aux États-Unis dans des endroits comme les CLSC et les foyers de personnes âgées pour informer les gens que les dossiers d'adoption seront ouverts à partir de telle date. Ceux qui s'opposent à la divulgation des renseignements nominatifs auraient un délai de six mois pour signifier leur désaccord. En Colombie-Britannique, 5% des gens ont émis un veto.

Les personnes qui sont recherchées par leur enfant seraient informées au moins un mois à l'avance par les Centres jeunesses de la divulgation de leur nom et de leur adresse.

La personne qui recherche est préparée de longue date. La personne qui est recherchée ne s'attend pas à ça, souligne Mme Fortin.

Les parents biologiques pourraient bénéficier d'un service d'accompagnement.

Dans le cas des personnes décédées, leur dossier serait automatiquement ouvert après deux ans.

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